L'effet bystander induit par les rayonnements

 

Oleg V. Belyakov

traduit de http://belyakov.fortunecity.net/bystander.html
avec l'aimable autorisation de l'auteur

      L'effet bystander induit par les rayonnements est un phénomène par lequel des dommages cellulaires (échanges de chromatides soeurs, aberrations chromosomiques, apoptose, micronucléation, transformation, mutations et expression de gène) sont exprimés dans des cellules voisines non irradiées à proximité d'une cellule ou de cellules irradiées (voir la figure 1).

 

figure 1. schéma de l'effet bystander

 cellule directement endommagée   cellule endommagée par effet bystander

      Jusque récemment on a, de façon générale, admis que les conséquences biologiques suivant l'exposition aux rayonnements sont attribuables aux dommages à l'ADN. Selon ce paradigme, les dommages à l'ADN se produisent pendant ou très peu de temps après l'irradiation des noyaux des cellules visées et le potentiel pour des conséquences biologiques peut être exprimé dans les limites de une ou deux générations de cellules (Grosovsky, 1999). Quelques éléments probants ont maintenant émergé qui remettent en cause les effets classiques résultant des dommages ciblés à l'ADN. Ces effets sont également nommés "non-ciblés" et incluent des effets de proximité, ou "effets bystander", instabilité génomique induite par la radiation, hypersensibilité aux faibles doses et induction des gènes par rayonnement (Ward, 1999). La caractéristique principale des effets "non-ciblés" est leur survenue particulière à de faibles doses.

      Ces dernières années, quelques équipes ont démontré l'existence d'un effet bystander dans lequel des dommages sont exprimés dans les cellules voisines non irradiées à proximité d'une cellule ou de cellules irradiées (Nagasawa et Little, 1992 ; Hickman et coll, 1994 ; Deshpande et coll, 1996 ; Prise et coll, 1998). Dans les expériences pilotes sur l'effet bystander par Nagasawa et Little (Nagasawa et Little, 1992) des cultures de cellules ont été exposées à un
flux très bas de particules d'alpha, tel que seulement 1% des cellules ont été traversées. Cela a eu comme conséquence une augmentation des échanges de chromatides soeurs pour 30% à 50% des cellules de la population. Un article récent (Zhou et coll, 2000) a démontré que les cellules, irradiées un microfaisceau précis de particules alpha , pouvaient induire un effet mutagène de proximité dans les cellules voisines non directement traversées et que le processus de communication de cellule à cellule à un rôle critique dans la médiation de l'effet bystander. On a montré que l'irradiation, avec 20 particules alpha pour chacune, de 20% de cellules hybrides humain-hamster A(L) aléatoirement choisies , a comme conséquence une fraction de mutants qui est 3 fois plus élevée que prévue, sans effet de modulation. L'analyse par PCR a démontré que les types de mutants induits sont sensiblement différents de ceux d'origine spontanée.

      Le mécanisme de l'effet bystander n'est pas encore connu. Cependant, il y a des preuves que l'effet bystander peut avoir au moins deux voies différentes pour le transfert des dommages des cellules irradiées aux voisines non irradiées : par les jonctions de cellule à cellule (gap junctions) ou par des facteurs de culture.

      Azzam et ses collaborateurs (Azzam et coll, 1998) ont démontré que l'effet bystander dépend de la communication intercellulaire (gap junctions) dans les cultures confluentes de fibroblastes diploïdes humains exposés à des flux bas d'irradiation alpha. Ils ont prouvé que les voies métaboliques p53 et p21 sont activées. Hickman et ses collègues ont signalé qu'une voie à médiation p53 pouvait être activée dans l'effet bysander (Hickman et autres, 1994). Ils ont étudié les effets de l'irradiation à faible dose de particules d'alpha sur cellules épithéliales de poumon de rat. L'analyse cytométrique de la fraction des cellules avec un niveau élevé de protéine p53 a détecté dans cette fraction une expression accrue par rapport à celles qui avaient été été frappées par une particule d'alpha.

      Le deuxième mécanisme de l'effet bystander proposé est la médiation de l'effet par la sécrétion de facteurs dans le milieu de culture (Mothersill et Seymour, 1997 ; Cummins et coll, 1999). Une série d'études (
Lehnert et Goodwin, 1997a ; Lehnert et Goodwin, 1997b ; Narayanan et coll, 1997) suggèrent un mécanisme alternatif dans lequel les cellules irradiées sécrètent des cytokines ou d'autres facteurs qui agissent pour augmenter les taux intracellulaires de formes réactives d'oxygène dans les cellules non irradiées. Lehnert et collègues ont démontré que le milieu de culture issu de cellules irradiées avec des flux bas de particules alpha peut induire une augmentation des échanges de chromatides soeurs lorsqu'il est utilisé pour incuber des cellules non irradiées de test. Mothersill et Seymour (1998) ont rapporté des données qui suggèrent que l'effet bystander ne dépend pas de la communication par les gap junctions de cellules en contact.

      Il n'y a pas encore assez d'information disponible pour spéculer au sujet de la nature des initiateurs de l'effet bystander. Narayanan et les collègues (1997) ont montré que des facteurs issus du milieu de culture de cellules irradiées peuvent induire une augmentation des taux intracellulaires de formes réactives de l'oxygène, y compris le superoxyde et le peroxyde d'hydrogène. Ils pourraient jouer un rôle important dans le phénomène de transfert des dommages. D'un autre côté, l'élimination de l'effet bystander par le traitement thermique du milieu de culture ou par le traitement des cellules irradiées avec des inhibiteurs de la synthèse des protéines suggère que les facteurs sécrétés pourraient être des protéines (
Lehnert et Goodwin, 1997b).

      L'instabilité génomique et l'effet bystander sont les deux effets non-
ciblés de l'irradiation. Ils ont un rayon d'action beaucoup plus grand que le noyau. L'instabilité génomique induite par le rayonnement est définie comme une élévation persistante dans le taux d'apparition de novo de changements génétiques (mutations, aberrations chromosomiques et micronuclei) chez une population clonale (Little et coll, 1997 ; Ullrich et Ponnaiya, 1998). Il n'y a jusqu'ici aucune preuve que l'effet bystander persiste sur beaucoup de générations. Par ailleurs, on a rapporté (le Comité sur les effets biologiques des radiations ionisantes, 1990) que l'instabilité génomique persistante peut être induite par l'intermédiaire d'un effet bystander. Un autre article (Lorimore et coll, 1998) a démontré l'instabilité chromosomique dans les descendants clonaux des cellules souches hématopoïétiques après irradiation de la moelle des os chez la souris avec des particules alpha. Les auteurs ont étudié les effets d'interposition d'une grille entre les cellules et la source de particules alpha de sorte que la population survivante consiste principalement en cellules souches non atteintes. On a montré que le nombre de cellules clonogéniques transmettant l'instabilité chromosomique était plus grand que le nombre prévu de cellules devant être atteintes et survivre. Ce fait suggère que la section initiale de dommages est augmentée par l'effet bystander, et que les cellules affectées par l'effet bystander peuvent entrainer un risque accru de changement génétique pour beaucoup de générations.

      L'effet bystander ne montre pas un rapport linéaire avec la dose (Nagasawa et Little, 1992 ; Hickman et coll, 1994 ; Deshpande et coll, 1996 ;
Lehnert et Goodwin, 1997a ; Prise et coll, 1998). Il est induit au maximum par les doses très basses, suggérant pour son activation un mécanisme avec effet de commutation (voir le schéma 2).

figure 2. Comparaison des types "classiques" et "bystander" de réponse à l'irradiation

 

      L'effet bystander contribue à une proportion significative de l'ensemble des mutations dans la région des faibles doses par un mécanisme apparemment distinct de la réponse "classique" au rayonnement. L'irradiation de 1 fibroblaste avec 1 particule 3He2+ donne lieu à une augmentation significative de cellules endommagées par effet bystander de approximativement de 1% à 3%. Un accroissement ultérieur de dose ne change pas la réponse pour une dose donnée. (Prise et coll, 1998). En raison des différences dans la fonction dose-réponse, la voie bystander pour la mutagenèse peut être négligée au delà doses qui, paradoxalement, sont souvent utilisées comme point de départ pour l'extrapolation des risques liés aux faibles doses

Quelle est la contribution relative des effets "classiques" et "bystander" à la mort de cellules ?
      Seymour et Mothersill (Seymour et Mothersill, 2000) ont employé les kératinocytes humains pour étudier le phénomène. Ils ont présenté des données montrant une méthode pour corriger la courbe globale de survie permettant l'analyse des contributions relatives de l'effet bystander et de l'effet attribuable à l'interaction directe du rayonnement avec la cellule cible. La technique utilisée est de construire une courbe clonogénique de survie en utilisant l'analyse de Puck et de Marcus. Les résultats de survie sont convertis en mort clonogéniques pour l'effet bystander et pour l'effet total. Par soustraction, on peut déterminer le % de cellules mortes non induites par effet bystander. Les données prouvent que pour cette lignée humaine de cellules épithéliales, les doses de 0.01 à 0.5 Gy de rayons gamma induisent seulement la mort clonogénique par l'effet bystander (voir la figure 3).

 

 


figure 3. Mort de cellules
clonogéniques mesurée dans les kératinocytes humains. La barre représente la mort totale détectée après exposition des cellules à la dose de rayonnement. La mort mesurée après exposition au milieu filtré des cultures irradiées de cellules (b) est représentée par la partie noire de la barre, et la mort restante déterminée par soustraction est représentée par la partie blanche de la barre, donnant une valeur (d) pour la mort non attribuable aux effets bystander du rayonnement (Seymour et Mothersill, 2000).


 

    On peut voir qu'il y a une composante très importante d'effet bystander à de faibles doses mais aux doses de 0.5 Gy et au-delà des effets directs du rayonnement commencent à apparaître. L'importance de l'effet bystander est relativement constante et elle semble saturer aux doses de la gamme des 0.03-0.5 Gy. Au delà des doses de 0.5 Gy, les courbes clonogéniques de la mort sont le résultat d'un effet de dose-dépendant non-bystander et d'un effet dose-indépendant bystander.

      Quelques études ont été publiées sur l'effet bystander en systèmes multicellulaires. La radiosensibilité des lignes de cellules épithéliales de HPV-G et de HaCaT irradiées à l'intérieur de microcolonies (> 50 cellules) s'est avérée être inférieure à celle de cellules irradiées comme cellules isolées(Mothersill et Seymour, 1997 ; Cummins et coll, 1999). L'article de Bishayee et ses collègues (Bishayee, et coll, 1999) décrit un effet bystander prononcé en modèle tridimensionnel de culture du tissu V79 marqué avec 3H quand l'isotope est localisé au noyau de cellules et non-uniformément distribué parmi les cellules. Jen et collègues (Jen et coll, 1991) ont constaté que la radiosensibilité des cellules de rein de souris qui sont irradiées dans des conditions in vivo in situ ou in vitro en fragments est plus élevée que celles irradiées in vitro comme cellules isolées.